Enième à se proposer de battre un énième record de hauteur, c’est désormais l'entreprise japonaise Sumitomo Forestry, exploitant bois depuis 1691, qui annonce la construction d’un gratte-ciel à la hauteur de son expérience, soit… 350 mètres, pour 350 ans, d’ici 2041. Alors que l’architecture bois joue désormais dans la cour des grands, il semblerait qu’elle ne se lasse plus de vouloir grimper toujours et encore plus haut. Serait-ce dans son ADN de matière ligneuse ? Serait-ce parce qu’il s’agit de prouver que si nous maîtrisons l’exceptionnel, nous savons faire l’ordinaire, et qu’il est donc désormais grand temps de faire confiance à cette filière ? Néanmoins, s’il nous faut effectivement densifier les espaces d’ores et déjà artificialisés, faut-il absolument que cela se fasse au bénéfice des métropoles ? Devons-nous vraiment contribuer, nous qui avons longtemps défendu une éthique alternative, à l’industrialisation de l’architecture (adieu le bois massif), à sa simplification formelle (adieu l’art de charpente) et à cette pernicieuse métropolisation qui vide les territoires où il était encore possible de vivre d’autres manières ? Thierry Paquot, récemment invité sur France Culture, observait ainsi le phénomène : « On a un déménagement du territoire qui va dans le sens d’une réduction du nombre de régions, du nombre de villes, on métropolise, c’est-à-dire qu’on agglomère, et ceci va, à mon avis, à l’encontre du désir des habitants, qui est de choisir leur lieu de résidence. […] C’est contradictoire : d’un côté il y a le Grand Paris, le Grand Bordeaux, le Grand Lyon, […], et de l’autre côté il y a ces revendications plus territorialisantes de ces Gilets Jaunes, qui étaient déjà des revendications de gens comme Charbonneau, comme Henri Lefebvre, qui voulaient lutter contre l’urbain généralisé par une espèce de réaffirmation territorialiste. La conscience du lieu, comme dirait Alberto Magnaghi ». Par ailleurs, neuf mois après l’écriture du Manifeste de la Frugalité Heureuse, cette course effrénée digne du mythe de Babel semble quelque peu anachronique.
Si cette « montée dans les tours » pose question et divisera certainement, une exposition pourrait bien alimenter notre réflexion. En effet, en guise de préalable à la Biennale d’Architecture d’Orléans « Nos années de solitude » – organisée par le FRAC Centre-Val de Loire du 11 octobre 2019 au 19 janvier 2020 –, la ville d’Azay-le-Rideau accueille quarante œuvres et projets d’architecture expérimentale autour du thème « Tours de Babel ». Des maquettes, des dessins, des collages et des films invitent à découvrir comment les artistes et architectes se sont saisis du modèle de la tour, d’une manière prospective, innovante, technique, ou critique à l’égard de nos modes d’habiter, et du « paysage de solitudes qui constitue désormais le profil de toute ville, et semble isoler et écraser celle ou celui qui l'habite », expliquent les commissaires de l’exposition.
Exposition « Les tours de Babel », du 28 juin au 22 décembre 2019, salle des Halles, Azay-Le-Rideau.