Article paru dans Séquences Bois n°143 Coordination éditoriale : Dominique Gauzin-Müller |
Philippe Madec, architecte et urbaniste
Grand maître-charpentier et formidable ami, Jean-Yves Riaux nous quitte après une riche vie d’humaniste amoureux du bois. La Région Bretagne et le Grand Ouest lui doivent beaucoup pour la promotion de la construction en bois. À travers des conférences, des missions de conseils et des expertises précises accompagnées de croquis, il y a préparé pendant plusieurs décennies le changement de culture qui rend possible aujourd’hui le développement des matériaux biosourcés, géosourcés et de réemploi.
Breton sans frontières, Jean-Yves a rejoint des équipes de construction en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud, pourvu que les bâtiments soient en bois. Drôle, formidable pédagogue, il aimait le rencontre avec ceux qui apprennent, qu’ils soient élèves compagnons, apprentis, élèves ingénieurs ou étudiants en architecture. Conseiller scientifique de la Team Solar Bretagne, il a accompagné nos étudiants jusque sur le podium du Solar Decathlon China en 2018.
Il nous manque déjà tellement !
Nicolas Visier, délégué général Fibois Pays de la Loire
Tu avais fait tienne la phrase attribuée à Gustav Mahler : « Le maintien de la tradition n'est pas la conservation des cendres, mais la transmission de la flamme. » Même si tu nous as quittés, la flamme que tu as allumée continue à brûler dans nos cœurs.
Pendant tes années au CNDB, je t'appelais « le cow-boy du bois ». Tu parlais inlassablement du bois et de la construction, et tu nous as transmis avec passion ta connaissance fine des architectes et de l'architecture. Avec toi, nous nous sentions connectés avec la matière et les gens du métier. Ta vie était parsemée de rencontres mêlant admirations professionnelles et amitiés profondes. J'ai tant de souvenirs joyeux de nos conversations autour de l'organisation du salon Maison Bois d’Angers et du Carrefour du bois de Nantes. Tes conférences inoubliables, devant des salles combles, avaient toujours un grand succès.
Tu étais un paradoxe : un roc dans le monde du bois, à la fois solide et sensible, inspiré et inspirant. Tu étais aussi un maître charpentier sans frontières. En bâtissant des églises au Cameroun et en Côte d'Ivoire, un temple au Cambodge ou une école au Ladakh, tu exprimais ta spiritualité. Peut-être préparais-tu déjà ton voyage vers le ciel ? Aujourd'hui, nous nous souvenons de toi comme d’un passeur qui continue à vivre à travers le feu qu'il a allumé dans nos vies.
Hervé Potin, architecte
Jean-Yves va nous manquer, c’est certain!
Quand j’ai démarré l’agence à Angers avec Duncan Lewis, en 1999, nous avons avait fait appel à lui, car nous ne connaissions rien à la construction en bois. Nous venions de gagner le concours de la Maison de la forêt à Louerre, dans le Maine-et-Loire, et nous voulions réaliser une ossature en bois avec un bardage en lames horizontales posées sur la tranche, intercalée avec des troncs bruts. Il nous a pris pour des fous, mais nous avons très vite sympathisé.
À l’époque, l’enseignement de la construction bois était inexistant dans les écoles d’architecture, et la rencontre avec Jean-Yves a été une belle claque. Il nous a invités à Montgermont pour réaliser des prototypes. Ce fut un apprentissage incroyable. Le projet ne s’est pas fait, mais je suis resté tel un disciple face à un maître. Après la création de l’agence Guinée*Potin à Nantes, en 2002, nous avons souvent fait appel à Jean-Yves pour parfaire un détail, choisir un bardage, comprendre une ossature. Chaque fois qu’il nous rendait visite, il nous apportait une pile de Séquences Bois.
Kenavo Jean-Yves ! Tu as fait pousser de belles graines de châtaigniers bretons un peu partout…
Joseph Behaghel, directeur général du CNDB de 1993 à 2004
Je me souviens comme si c’était hier de notre première rencontre, le 7 février 1995, autour d’une bonne table. Avec Robert Eriani, nous t’avons présenté le programme engagé depuis un an par le CNDB pour « faire construire et aménager avec du bois », et en particulier son volet « prospecter et prescrire » pour lequel nous avions pensé à toi… Au moment du départ, après trois heures de discussions passionnées, tu m’as dit en me serrant la main : « Je veux en être. Tope-là, je vous rejoins ! » Quelques mois plus tard, c’était chose faite. Ni l’un ni l’autre ne l’avons jamais regretté, bien au contraire ! Ce fut un plaisir, je dirais même un privilège, de nouer progressivement avec toi une relation amicale, qui allait bien au-delà de la simple relation professionnelle.
Merci Jean-Yves, pour tout ce que tu as apporté à l’équipe du CNDB, tout au long des dix années qui ont suivi, pour remettre le bois à la place qui lui revient dans la construction et l’architecture. L’émotion et les nombreux témoignages suscités par ta disparition témoignent de ta forte personnalité, de ton engagement total et de ton professionnalisme de charpentier et de spécialiste de la construction bois. Ton envie de partager ta passion pour notre matériau et pour l’architecture ainsi que ton talent de conférencier unanimement reconnu ont porté tant de beaux résultats.
Dominique Gauzin-Müller, architecte-chercheuse
Notre complicité amicale, initiée il y a vingt ans dans le Vorarlberg, a été renforcée par chaque voyage d’études commun, chaque intervention à deux voix, chaque texte à quatre mains, chaque visite dans ta si chaleureuse maison de Montgermont.
Charpentier, artiste, architecte autodidacte… tu étais le digne descendant des bâtisseurs de cathédrales. Humaniste empreint de spiritualité, tu as d’ailleurs construit en Afrique deux impressionnantes églises, avec des troncs coupés dans les forêts voisines, un équipement sommaire et quelques novices dévoués.
Ton influence, si sensible sur la construction en bois en Bretagne et dans les Pays de la Loire, fut aussi décisive pour notre ami Helio Olga, ingénieur et constructeur à São Paulo, qui a abandonné le bois massif d’Amazonie pour le lamellé-collé d’eucalyptus local. Lors de notre voyage au Brésil, un charpentier de Parati t’a tendu son outil pour que tu donnes quelques coups de ciseau sur le fronton qu’il sculptait. La main parle aussi directement au cerveau que le cerveau parle à la main, et le cœur les unit dans une fraternité qui fait fi des frontières.
Fier et généreux, empathique et taquin, tu étais avant tout… un homme libre !
Gaëtan Genès, ingénieur bois (BET ECSB), président de l’association Ingénierie bois construction (IBC)
Jean-Yves, mon père,
quatre jours que je dois écrire 1 000 signes en ton hommage et, pas de bol, le covid me rattrape. Fatigué, pas d'inspiration et parler de toi au passé, je ne peux m'y résoudre.
Lundi, je participe à une réunion avec Antoine Thébault pour parler de Lamibois français, une de tes idées... J'ai oublié le Krama que tu m'as ramené du Cambodge dans un resto. Aujourd'hui, alors que je m'étais engagé à rédiger ce texte, Aurélien Lefevre m'invite au levage de la pointe de l'aiguille de la flèche de Notre-Dame. Je prends vite un TGV, je récupère le Krama, je fonce rejoindre les compagnons qui déjeunent, et c'est parti pour un après-midi incroyable. Je monte les escaliers quatre à quatre jusqu'à 85 mètres de haut. Plus de fatigue, tu étais avec moi. La lumière est splendide, tout se déroule à merveille dans une communion retrouvé entre tous : établissement public, architectes, entreprises, compagnons charpentiers, échafaudeurs... Julien Le Bras nous montre l'épure tracé au sol dans les ateliers de Briey il y a tout juste un an : un an seulement pour tailler et lever ce chef-d'œuvre de Viollet-le-Duc et des compagnons charpentiers de 330 m3 de Chêne.
Là-haut, un compagnon que je ne connais pas me parle de toi. Je me dis qu'il a vu le logo d'ECSB, mais non, il ne connaît pas l'histoire du Phare du Bout du Monde qui a bouleversé ma vie, grâce à toi, Yul et Jean Perrault. Reviens m'habiter quand tu veux, cette journée était géniale.
Jean-Yves, tu as changé ma vie, à travers les personnes que tu m'as permis de rencontrer, les voyages que nous avons fait ensemble – en Afrique et ailleurs - les livres que tu m'as offert et surtout les aventures charpenteresques que nous avons partagées. Je garde, en humble dépositaire, tout ce que tu m'as légué : poèmes, textes, photos, outils... Pas pour conserver les cendres de ta passion, mais, comme tu le disais si souvent, « pour transmettre la Flamme ».
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