WEB-CONFÉRENCE : La vie d’une poutre, une étude du réemploi d’éléments structurels

Rédigé par Sarah ADOR
Publié le 28/04/2020

Alors que nous avions consacré un numéro entier au réemploi au début de l’année, il semble que le sujet soit en train de sérieusement se démocratiser, tel qu’en atteste le récent MOOC Réemploi sur la plateforme Bâtiment Durable, mais aussi de plus en plus d'événements consacrés à ce sujet. Le 23 avril, un de ceux-là a retenu notre attention, en pointant un sujet particulièrement intéressant pour les passionnés de charpentes que sont souvent les amoureux du bois : le réemploi d’éléments structurels. 

Et par chance, les web-conférences ont au moins un avantage, celui d’être re-visionnables à souhait : vous aurez donc tout le loisir de l’écouter même si vous l’avez manquée.

Organisée par le centre de ressource Envirobat Grand Est et l’association alsacienne BOMA - Les BOnnes MAtières, spécialisée dans le développement et l’accompagnement de processus de valorisation des matériaux du BTP, en partenariat avec le Campus des métiers et des qualifications, l’Agence Qualité Construction et l’entreprise Cycle Up, spécialisée dans le réemploi des matériaux de construction, la webconférence portait plus exactement sur le réemploi d’éléments d’ossature issus de la déconstruction de bâtiments existants. Consultant en économie circulaire chez Cycle Up, l’ingénieur Hugo Bonnet y présentait une de ses études, appuyée sur un travail de recherche mené lors de son mastère spécialisé à l’Ecole des Grands Projets (ESTP), avec l’aide de Thierry Juif (Directeur Environnement-Ecoconception chez Bouygues) et de Cycle Up, dont il faisait déjà partie à l’époque. 

Nous l’avions spécifiquement expliqué au sujet de la filière bois, en termes de consommation de matière, de ressources, d’émissions de carbone et de production de déchets, le fonctionnement du secteur du BTP est loin d’être économe, efficace, et surtout sain pour la couche d’ozone ainsi que le réchauffement climatique. D’après Hugo Bonnet, le secteur du BTP produit à lui seul 70 % des déchets français, soit 250 millions de tonnes. Alors que l’objectif fixé par l’Europe dans la directive-cadre déchet était de 70% de valorisation des déchets du BTP à l’horizon 2020, nous n’avons atteint que les 50%. Cela signifie que 50% est toujours enfoui ou brûlé, ce qui pose problème d’un point de vue environnemental. Au-delà de la fin de vie se pose aussi le problème du début de vie, car la fabrication d’un matériau exige aussi une certaine énergie. À ce sujet, Hugo Bonnet mentionne que 56% de l’impact carbone d’un bâtiment incombe à ses matériaux de construction. On comprend ainsi rapidement l’intérêt des démarches d’économie circulaire. Mais plus précisément : recycler c’est intéressant, cela permet de réutiliser la matière. Mais cela génère une perte de valeur et induit un processus industriel relativement énergivore. Au contraire, réutiliser et réemployer permettent non seulement d’éviter ce processus, mais aussi de conserver la valeur d’usage dans le cas du réemploi, ou au moins la valeur esthétique, l’aspect, dans le cas d’une réutilisation (qui signifie qu’il y a changement de destination). Par ailleurs, si Hugo Bonnet constate un impact inévitable sur la temporalité, mais aussi sur l’économie du projet, il démontre que le réemploi permet non seulement d’éviter la fabrication d‘un nouveau matériau, induisant une économie d’énergie, mais génère également le développement de nouvelles filières ainsi qu’un besoin de main d‘œuvre non délocalisable.

Aujourd’hui, réemployer des éléments de finition n’est pas très compliqué car la solidité de l’ouvrage ne s’en trouvera jamais menacée. Mais au vu de leur durée de vie, réemployer ces éléments n’est pas ce qu’il existe de plus impactant sur le bilan carbone. En effet, là où une moquette durera 5 à 15 ans (d’après une étude de Locatearchitects), une structure est conçue pour durer 60 à 200 ans (voir plus, si l’on pense à Notre-Dame). Par ailleurs, d’après Hugo Bonnet, la structure d’un bâtiment est à l’origine de 30% de l’impact carbone d’un bâtiment : elle est donc le lot sur lequel il faudrait concentrer les efforts de développement du réemploi pour réduire le plus efficacement possible les émissions du secteur du BTP. Dans le cas d’une structure, d’une charpente, une opération de réemploi peut prendre la forme d’un réemploi de l’ensemble, ou d’un réemploi élément par élément, selon une géométrie différente. S’il existe aujourd’hui une multitude d’initiatives, Hugo Bonnet constate qu’il n’existe pas de cadre commun permettant de capitaliser sur les expériences, et donc de massifier ce recours au réemploi, qu’il aimerait voir comme un processus intégré à tous les projets de déconstruction et de construction.

Son étude porte donc sur l’élément poutre, et compare les possibilités de réemploi pour le matériau bois, l’acier et le béton armé, à travers le prisme de la réglementation, de la caractérisation technique et de la valeur (dans toute sa polysémie, pas seulement dans sa dimension économique).

D’un point de vue réglementaire, il souligne l’apport de la future réglementation environnementale (préfigurée par l’expérimentation E+C-) qui favorisera le réemploi, mais surtout l’intérêt du permis d‘expérimenter (aussi appelé « permis de faire »), qui préfigure quant à lui la réécriture du code de la construction (dont on attend actuellement les décrets d’application), permettant de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats dans les domaines de l’acoustique, de l’incendie, au moyen de l’« attestation d’effet équivalent », que connaissent très bien les AMO réemploi. Néanmoins, il n’est pas toujours nécessaire d’y recourir : Hugo Bonnet travaille plus souvent simplement avec le contrôleur technique, en lui apportant toutes les preuves nécessaires à argumenter l’équivalence d’un élément de réemploi par rapport à un élément neuf. Mais ce travail, comme celui des attestations d’effet équivalent, n’est jamais capitalisé et chacun repart toujours de zéro.

Pour Hugo Bonnet, c’est ce statut d’exceptionnalité qui empêche toute massification de la pratique. Par cette étude, il cherche ainsi à identifier comment il serait possible d’utiliser une grille d’analyse commune, de catégoriser les différents types d’éléments, afin d’accélérer les procédures en capitalisant sur les précédents pour tous les cas généraux, et en ne procédant à des tests que dans les cas spécifiques. Spécifiquement pour le cas des éléments structurels, il propose notamment de travailler avec le sur-dimensionnement, c’est-à-dire « l’application forfaitaire de certains modèles de calcul des normes en vigueur », comme cela avait été fait pour le quartier BedZed à Londres.
Affaire à suivre.

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