À l’heure où le démontage des échafaudages titanesques de Notre-Dame de Paris est terminé, 1200 chênes ont récemment été sélectionnés en vue de la restauration à l’identique de la flèche, des transepts et des jonctions avec le grand comble, suite à la validation du projet par la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA). Les arbres ont été coupés avant la montée de sève de la mi-mars pour atteindre le degré d’hygrométrie requis (25-28%) d’ici 12 à 18 mois. L’an prochain, autant d’autres chênes seront prélevés pour la réfection de la charpente du grand comble (nef et chœur), mais seront coupés à l’état vert pour faciliter la taille manuelle des pièces, conformément aux techniques médiévales préconisées par les Architectes en Chef des Monuments Historiques. En effet, « les bois équarris à la hache sont plus solides et de meilleure tenue que ceux sciés », explique Frédéric Épaud, spécialiste des charpentes médiévales. Selon lui, « chaque poutre était un chêne équarri », les arbres abattus correspondant « précisément aux sections recherchées par les charpentiers ». À l’heure où l’on remet en cause la gestion contemporaine des forêts, le chercheur rappelle que la charpente de Notre-Dame était issue de plantations, gérées sur le mode de la coupe à banc / recépage, volontairement non éclaircies « pour conserver l’hyperdensité du peuplement », qui encourageait la concurrence des arbres pour la lumière, et ainsi une croissance rapide en hauteur, qui les rendait « parfaitement adaptés à la construction en bois ».
L’an dernier, avant que la décision de restituer les charpentes à l’identique ne soit actée, un important programme scientifique et universitaire avait été engagé pour fournir des éléments d’aide à la décision. Porté par l’association Restaurons Notre-Dame, qui milite depuis 2019 pour une restauration de la charpente avec le matériau bois, celui-ci est piloté par la commission de coopération scientifique, technique et universitaire présidée par l’architecte et enseignant-chercheur Franck Besançon, qui a mobilisé pour ce faire la Chaire partenariale d’enseignement et de recherche « Architecture et construction bois : du patrimoine au numérique ». Ce groupement travaille de manière plus générale sur le potentiel du matériau bois dans l’architecture, avec une approche à la fois environnementale, patrimoniale et numérique.
Six grandes écoles ont collaboré sur ce projet de recherche composé de trois phases, dont la dernière, en cours, consiste à synthétiser les enseignements des phases 1 et 2 avec le Comité d’Experts et la Commission de coopération Scientifique, Technique et Universitaire de l’association. Si les résultats de la phase 2 sont confidentiels, ayant été uniquement communiqués au Général Georgelin, ceux de la phase 1 sont en accès libre. À vocation essentiellement formative pour les étudiants du Master Architecture Bois Construction (ENSTIB / ENSA Nancy), le programme de développement de six scénarios de restauration des charpentes mené par 30 étudiants a aussi eu l’intérêt de révéler l’étendue des problématiques posées par ce chantier. De ce fait, certains choix n’ayant pas encore été arrêtés dans le projet officiel, ce travail et celui de la phase 2 vont apporter une aide conséquente à la décision sur le plan technique, confirme Pascal Jacob, président-fondateur de l’association Restaurons Notre-Dame, expliquant qu’« il n’est pas exclus que ces choix puissent modifier certains points du dessin des charpentes », même si cela restera probablement à la marge.
Les scénarios développés comprennent l’étude de la charpente, de la flèche et de la couverture, dans le respect du volume initial, et ont pris en compte non seulement la question patrimoniale et les cas de restauration comparables entrepris dans l’histoire, mais surtout les sujets de mise en œuvre et d’assemblage, ainsi que les effets gravitaires et climatiques incombant à la charpente, et l’impact environnemental des matériaux et de leur acheminement. Si les propositions témoignent d’approches assez différentes, exemplifiant plusieurs degrés de référence à la charpente disparue, elles n’en sont pas moins toutes réalistes et vérifiées par le calcul, ce qui en fait une occasion formidable de reconsidérer l’étendue des alternatives qui auraient été envisageables d’un point de vue technique. Ces dernières reposent par ailleurs sur des modélisations tridimensionnelles et paramétriques, ajustables en fonction de données comme celles de l’état des maçonneries encore insuffisamment connues. [...]