Alors que la situation géopolitique mondiale nous rappelle notre degré de dépendance énergétique et matérielle, une forme d’économie de moyens dans nos manières d’aménager et d’user de ce qui nous entoure ne permettrait-elle pas de consolider notre résilience collective ? La distinction du travail de Diébédo Francis Kéré par le Pritzker Price 2022 va dans le sens de ce changement de paradigme, en reconnaissant la justesse d’une démarche de frugalité, au sens où Philippe Madec l’entend : « fructueuse, indemne pour la terre et les êtres qui la font, justement rassasiés ». À l’échelle de la matière comme à celle du bâtiment voire du paysage, œuvrer par l’adaptation, la transformation minimale et la réversibilité procède non seulement d’une dépense matérielle et énergétique minimisée, mais aussi d’une transmission culturelle. Avant d’envisager la construction neuve, faire perdurer le bâti existant, prolonger la vie d’édifices bien construits, consolider ce qui vieillit ou périclite est une première forme de réponse. Economie de ressources, évitement d’énièmes grignotages de terres naturelles et agricoles, mais surtout enthousiasmante occasion de manipuler le vocabulaire spatial et constructif d’autres époques et programmes, porteur d’expériences architecturales singulières et situées. En témoignent les réalisations présentées dans ce numéro, choisies pour la délicatesse et la clarté du dialogue qu’elles nouent avec des architectures du Moyen-Age à la modernité en utilisant le bois en contrepoint de matérialités minérales, métalliques, ou en confortement d’ouvrages en bois anciens, qui attestent de la grande durabilité du matériau. Parallèlement, recourir à des ressources naturelles et crues pour construire (comme l’argile et le bois brut) apparaît comme une seconde façon de répondre aux enjeux de sobriété et de résilience locale. Non seulement parce que ces matériaux très peu transformés peuvent retourner sainement à la terre (réversibilité), qu’ils nécessitent très peu d’énergie de fabrication (pas de cuisson), mais aussi parce qu’ils peuvent provenir du site-même du projet ou de ses environs proches, ne nécessitant par essence rien qui ne soit rare, difficile à extraire, lointain ou dépendant de flux mondialisés. Au-delà de l’efficience technique de leur complémentarité, dont les modalités de mise en œuvre font l’objet du Guide, les mariages de la terre et du bois sont des occasions de redécouvrir la diversité des techniques traditionnelles qui, toujours propres à une géologie locale, constituent un patrimoine culturel qui ne demande qu’à ré-enrichir notre architecture contemporaine de ses textures et de sa sensitivité.
Sarah Ador