> Penser les vies ultérieures du matériau bois
305 tours Eiffel. C’est la masse que représentent les déchets de bois produits chaque année par le secteur du BTP français*. Si 22% sont valorisés en énergie, 57% en matières et produits organiques (panneaux de particules, pâte à papier, paillage,…), le reste est enfoui. Rien que dans le secteur de la menuiserie, on cache sous nos pieds l’équivalent masse de 32 tours Eiffel tous les ans**. Si l’on peut se féliciter du recyclage d’une majeure partie, on ne peut nier qu’entre une poutre forte de capacités structurelles et/ou de valeurs esthétiques et patrimoniales, et de la poussière de bois, la perte de valeur est conséquente. Avant le XXème siècle, personne n’aurait gaspillé un tel gisement. Millénaire, le réemploi était une pratique banale, les déconstructions étant toujours destinées à la récupération des matériaux. Durant le XXème siècle, si l’anthropocène n’était pas encore avéré et les ressources paraissaient inépuisables, le contexte climatique actuel oblige à réduire les émissions de carbone de nos constructions. S’il souffre encore d’une image miséreuse associée au bricolage, le réemploi commence ainsi à revenir sérieusement sur la scène des solutions écologiques (et tendances) en réduisant la production de déchets et la consommation de nouvelles matières premières. Invitant à voir le bâtiment comme « une agrégation temporaire de composants, d’éléments et de matériaux […] qui s’accommodent d’une fonction pour une période établie » (Guldager), dans la lignée de l’adage lavoisien « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », il nécessite de restreindre la définition que nous avons des déchets, et d’élargir celle que nous avons des ressources. Impliquant la responsabilité élargie des producteurs (REP) mais aussi la transformation du diagnostic déchets en diagnostic ressources, le projet de loi contre le gaspillage et pour une économie circulaire, qui vient d’être adopté, promet justement de changer la donne. Curieuse des possibles de cette filière pour l’architecture bois, la rédaction est partie à la rencontre de projets, d’acteurs et de chercheurs pour en explorer les implications techniques, esthétiques, juridiques, économiques et écologiques, en étudiant non seulement l’aval – la prescription et mise en œuvre de bois de récupération – mais également l’amont – l’anticipation d’un réemploi futur par la démontabilité. Si la période est à l’expérimentation, les nombreux exemples forment peu à peu une jurisprudence qui servira l’évolution des réglementations et des solutions assurantielles, grâce au travail colossal de juristes et de collectifs d’architectes engagés.
Sarah Ador
* 2,23 millions de tonnes (FNADE, 2019). La tour Eiffel pèse 7 300 t.
** 5 à 6 millions de fenêtres bois, soit 240 000 t (chiffre Ademe).