« L’Île de France importe la quasi-totalité de ses matériaux » a introduit Paul Emmanuel Loiret. Selon lui, cette réalité génère une architecture déracinée, en rupture avec le milieu physique, dans ses dimensions géologique, biologique et climatique. Cela engendre une architecture générique, à l’opposé des cultures constructives que l’ONU qualifie de « cultures spécifiques », valorisées pour leur capacité à se construire intelligemment à partir des ressources d’un environnement local. Mettant en lumière un paradoxe initial, l’architecte a rappelé les deux rôles de l’architecture : une fonction de décontextualisation, c’est-à-dire de limite entre nous et le monde, mais surtout une fonction contextuelle, de medium avec le lieu, en tant qu’expression et sublimation du monde, qui sublime à son tour l’architecture. C’est davantage sur cet aspect relationnel que portait la conférence de présentation du projet Cycle Terre, porté par Grand Paris Aménagement, la ville de Sevran, les laboratoires CRAterre, AE&CC et amàco, l’agence Joly&Loiret, la Société du Grand Paris et le promoteur Quartus.
Le projet s’est construit en parallèle de plusieurs projets d’architecture (notamment la Maison du Parc de Milly-la-Forêt, « Réinventer la Seine » à Ivry, la tour en pisé pour « Réinventer Paris ») ainsi que de l’exposition Terre de Paris, présentée au Pavillon de l’Arsenal en 2013. À cette occasion, après avoir fait analyser 20 tonnes de déblais issus des environs de Paris, les architectes avaient pu montrer que 200 millions de tonnes de terre étaient exploitables pour la construction dans la métropole. À l’heure où les lieux de stockage sont en limite de développement, l’usage constructif de ces terres est une manière de renouer avec le milieu autant qu’un exutoire nécessaire. Les nombreux types de terre peuvent permettre de créer différents types de matériaux, leurs caractéristiques variées étant propices à diverses techniques constructives, telles que l’illustre la richesse du patrimoine en terre, toujours particulièrement contextuel.
À Sevran (Seine-Saint-Denis), une opportunité foncière et une collectivité motivée ont ainsi permis aux architectes de lancer une expérimentation d’envergure. La ville a décidé d’accueillir une fabrique de matériaux en terre crue, destinés à la construction de bâtiments sur le territoire du Grand Paris. La fabrique devrait être en mesure de traiter 25 000 tonnes de terre par an, qui serviront à fabriquer 10 millions de composants, soit quelques 140 000m² de parois. Au-delà de son rôle productif, le lieu aura vocation à devenir un lieu de vie et de formation ouvert à tous. Par ailleurs, le projet comprend aussi un budget dédié à la normalisation, la formation, la rédaction de guides de mise en œuvre et la vulgarisation. Ces synergies, qui se fondent à la fois sur l'aspect pratique et juridique, devraient faciliter l'émergence de la filière dans la métropole parisienne, et engager des dynamiques de construction, qui permettront non seulement de reconnecter l'architecture contemporaine francilienne au sol d'où elle émerge, et de limiter la fabrication et l'import de matériaux, responsables d'importantes émissions de carbone.