En cela, cette traduction française de quatre textes reconnus comme faisant partie des plus importants de l’historiographie de l’architecture japonaise est un fondamental. Publiés entre 1946 et 1966, à une époque où l’identité nippone avait besoin d’être redéfinie, ces écrits signés de l’architecte-historien Ôta Hirotarô sont les premiers à démonter les causalités géographiques et historiques de l’architecture traditionnelle japonaise, une vingtaine d’années après le premier ouvrage d’histoire de l’architecture japonaise, publié par Amanuma Schun’ichi, qui prenait alors la forme d’une énumération descriptive dénuée de narration historique.
Les deux traducteurs ont ici choisi de publier un ensemble de textes concis et accessibles composé de deux préfaces, dont la dimension synthétique en fait une pertinente entrée en matière dans l’œuvre de l’historien, ainsi que de deux textes analytiques, l’un recourant à une approche thématique, constitué de cinq chapitres, et l’autre entreprenant une démarche chronologique autour de cinq périodes, de la préhistoire au XIXe siècle. Signées de l’architecte-archéologue Jean-Sébastien Cluzel et de l’historien de l’architecture Nishida Masatsugu, auteur du « Vocabulaire de la spatialité japonaise » et de « Le sanctuaire d’Ise - Récit de la 62e reconstruction », ces traductions sont complétées d’un cahier de photographies que l’on doit à Tsujimoto Yonesaburô, reproduites à partir de l’ouvrage de 1966, dont Ôta Hirotarô fut le co-éditeur.
La contribution japonaise à l’architecture bois figure est surtout abordée dans la seconde partie de l’ouvrage, qui détaille les particularités de l’architecture japonaise, et plus précisément dans les chapitres 4 et 5, respectivement dédiés aux matériaux et structures, et à la conception des plans. On y apprend qu’entièrement en bois jusqu’à l’ère Meiji, l’architecture traditionnelle nippone a été fortement imprégnée de ce matériau, qui aurait pour ainsi dire « défini les fondements de la structure et du dessin de l’architecture japonaise ». Longtemps généreusement disponible, le cyprès (hinoki), d’excellente qualité, de grande droiture et résistance, puis d’autres essences à partir du Moyen-Age, auraient non seulement influencé les formes de l’architecture, majoritairement rectilignes, quadrangulaires et de faible épaisseur, mais aussi initié cet intérêt japonais pour les structures poteaux-poutres et le langage de la légèreté plutôt que celui de la massivité et du mur. L’auteur mentionne aussi la dimension climatique de cette porosité fondamentale, adaptée à l’atmosphère chaude et humide, qui influe par ailleurs sur la profondeur importante des débords de toitures, au sujet desquelles les analyses d’Ôta Hirotarô permettent de saisir l’influence chinoise, et plus précisément bouddhiste, que l’on peut lire dans les jeux d’encorbellement et de charpentes complexes si caractéristiques de l’architecture sino-japonaise. Les explications données au sujet de la modularité et de la standardisation, consubstantielles à la composition architecturale japonaise, permettent d’entrevoir ce que cette donnée culturelle avait de précurseur par rapport à notre modernité occidentale. Les entraxes structurels unifiés à l’échelle du pays ou presque ont permis, très tôt, de produire tatamis et portes coulissantes en série, mais également de vendre le bois en longueurs fixes, ce qui a facilité l’industrialisation de la filière. Enfin, Ôta Hirotarô rappelle aussi le goût japonais, en cela distinct du goût chinois, pour les matières brutes non peintes, par amour de la matière pour ce qu’elle est, appétence qu’une nouvelle vague d’architectes contemporains partage aujourd’hui largement.