Issu d’un colloque présenté à l’été 2018 par le docteur en architecture Stéphane Bonzani et l’équipe du laboratoire Gerphau à la Cité de l'architecture et du patrimoine, cet ouvrage collectif s’essaye à interpréter la polysémie d’une résurgence de l’archaïque dans le champ de l’architecture contemporaine, dans la production d’agences aussi différentes que celles de Peter Zumthor, Aires Mateus, Francis Kéré, OMA, Herzog et De Meuron ou encore Ishigami. Construit autour de six parties, cet ouvrage compilant près de quarante contributions d’architectes et philosophes – dont les éminents Jacques Lucan, Philippe Potié, Marc Barani et Juhani Palasmaa – balaie les contours de ce mouvement de fond protéiforme. Dénotant d’un désir manifeste d’expression de vérité, cette tendance se traduit par des modes d’organisation élémentaires et par une exacerbation des propriétés constructives et de leur expressivité matérielle. Une quête de l’authentique est aussi à l’œuvre : surexpression de la matière, recherche d’une immédiateté des expériences, des sens premiers, et d’une appropriation non savante, d’ordre vibratoire, qui serait ainsi familière par nature. Le retour à des « gestes archaïques » et à leur sensorialité, notamment dans les constructions issues de matériaux géo et biosourcés, est également notable, tout comme le regain d’intérêt pour les lieux d’extraction de la matière, qui traduirait une volonté de « reconnaissance d’une origine naturelle et terrestre, précédant celle de sa destination et parfois celle de l’humanité ». En réalité, ce qui est interprété comme un souhait de renouer avec l’expérience de l’initialité, de « revivre l’épreuve embrouillée des commencements », de se replacer dans les conditions originelles serait en fait un geste récurrent dans l’histoire de l’architecture. En leur temps, les modernes tentèrent eux aussi de réinitialiser les paramètres de l’art, « fatigués du fardeau de la culture », avancent les auteurs. Certaines contributions expliquent le phénomène par un besoin de « renouveler la validité de nos actions », de réactiver un sens profond de l’architecture dans une « situation contemporaine sombre », qui tend à encourager des « procédures de déconstruction du paradigme moderne, nécessaires à la réinitialisation de notre rapport au monde », propose Stéphane Bonzani en référence à l’exposition Reset Modernity dirigée par Bruno Latour à Karlsruhe. Revenir aux « idées premières d’architecture », ces formes archaïques « qui semblent exercer sur le présent une fascination particulière » (Giorgio Agamben), reviendrait à renouer avec une forme d’universalité rassurante, à une « intuitivité face à la complexité croissante des conditions sociétales et celle des objets produits ».
Un ouvrage érudit et profond qui réinterroge les fondements de la discipline et leur survivance dans la production contemporaine.