Dans une introduction étoffée, Philip Jodidio revient sur la rudesse du contexte économique de Tokyo rencontré par l’architecte à ses débuts, qui participa, avec autant d’importance que sa découverte de l’architecture rurale africaine, à le faire se tourner d’abord vers la campagne et les techniques et matériaux traditionnels. Par goût pour la matière, l’artisanat du bois, de la terre et du papier, au service d’une architecture tactile, odorante, sensorielle, à contrecourant de l’aseptisation et de la dématérialisation qui caractérisait la production architecturale ambiante. S’opposant aux esthétiques modernistes et métabolistes, Kuma se refuse à penser l’architecture comme un objet, que la société a vite fait de transformer en produit. Matérialiste sensible, il étudie les ressources locales, les typologies régionales, et fait de ses édifices des lieux d’expression de la matière : des cèdres à peine écorcés et du chaume à Yusuhara, des planches de chêne brutes au camp de base du Mont Blanc, des troncs entiers à la chapelle Birch Moss… L’ouvrage nous apprend que c’est paradoxalement en construisant hors du Japon qu’il apprit à apprécier l’esthétique japonaise du wabi-sabi, prenant goût à l’imperfection du veinage du lamellé-collé français, du bambou non standard en Chine… Attaché à l’idée de toujours formuler une étroite discussion avec le paysage et le lieu, nombreux sont ses projets qui empruntent à l’architecture traditionnelle japonaise ses typologies de « bâtiments-toits », ainsi que ses effets de légèreté et de transparence, sans jamais pourtant tomber dans le pastiche, car ce qu’il apprécie et réinterprète de cette dernière – rejoignant en cela le Kenzo Tange qui lui avait donné, petit, le goût de l’architecture –, c’est avant tout sa « beauté structurelle ». Il réinterprètera ainsi à plusieurs reprises la technique du jigoku-gumi, mais s’aventurera aussi dans des charpentes high-tech à la Shigeru Ban dans le temple taoïste de Hsinpu à Taiwan. Toutefois, si la qualité des ambiances constituerait peut-être le fil rouge de son œuvre – le bois assurant en ce sens des fonctions plus ou moins structurelles ou ornementales selon les projets –, l’ouvrage permet de noter la dimension particulièrement protéiforme de sa production (parmi laquelle certaines œuvres dénotent étonnamment), ainsi que la relative distance prise, sur certains projets d’envergure, avec la sobriété prônée en préambule. Cela ne saurait amoindrir la puissante source d’inspiration que cette œuvre conséquente et remarquable représente pour les amateurs d’architecture en bois, qui ne pourra qu’être ravivée par la qualité de cet ouvrage exhaustif.
Kuma. Complete Works. 1988 – Today, Philip Jodidio, TASCHEN, août 2021, 34 x 45cm, 150€, 460 p.