Aisément manufacturable et léger, le matériau bois, qui convainc aussi les militants par sa provenance naturelle et renouvelable, se prête en effet depuis 2019 à deux champs d’expérimentations constructives qui permettent aux activistes de se saisir davantage de l’espace public, en leur permettant d’y être bien visibles, plus imposants, mais aussi de s’y installer confortablement : la construction modulaire emboitable, et la tenségrité.
La première, si elle a le vent particulièrement en poupe depuis l’avènement des fablab et de la diffusion croissante de patrons open source, doit un certain renouveau au Studio Bark, jeune agence engagée basée dans l’est londonien, fondée par Wilf Meynell en 2014. Celle-ci a en effet récemment développé un système de construction nommé U-Build, en collaboration avec le bureau d’études Structure Workshop et l’atelier de fabrication Cut and Construct. Livré en kit, ce système de construction modulaire est destiné à faciliter l’auto-construction à prix abordable. Les pièces préfabriquées, usinées à la CNC dans du contreplaqué ou de l’OSB, sont emboitables et s’assemblent avec de simples vis, rendant le système constructif non seulement accessible aux néophytes mais aussi entièrement démontable, réutilisable et recyclable. Comptant plusieurs membres d’Extinction Rebellion dans son effectif, l’agence a donné libre accès à ses plans pour réaliser une version adaptée au contexte des manifestations : des modules de petite taille, légers (5 kg), facilement manipulables et superposables, percés de trous qui permettent de les transporter mais aussi d’y passer les bras. Ils servent à édifier des tours, à fabriquer les podiums où se déroulent les discours, à créer des assises, mais aussi à réaliser des barrages humains, une stratégie de protestation pacifique où les gens s'attachent pour bloquer un site.
Cet automne, les activistes londoniens se sont saisis d’une nouvelle technique de construction, héritée des expérimentations de Richard Buckminster Fuller, Kenneth Snelson et Cédric Price au tournant des années 50 : le principe de tenségrité (de l’anglais tensile integrity), qui désigne « la faculté d'une structure à se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression qui s'y répartissent et s'y équilibrent », synthétise la communauté Wikipedia. À cette époque, il est bon de se rappeler que des architectes comme Frei Otto et Buckminster Fuller s’essayaient déjà à une architecture frugale, à la fois spatialement généreuse et peu consommatrice de matière. Si ces structures ont eu peu d’applications concrètes, Julian Maynard Smith, fondateur de la compagnie théâtrale Station House Opera, et l’ingénieur Morgan Trowland ont eu la bonne idée de les ressortir du grenier et de les adapter pour servir la cause militante. Simplement constituées de barres de bambou et de câbles métalliques, deux tours de trois étages construites en quelques minutes ont ainsi été utilisées début septembre pour bloquer la route de l’imprimerie de Broxbourne où, dénoncé pour son manque de couverture du sujet climatique, le très influent groupe de presse Murdoch fait imprimer ses journaux.