EVENEMENT / Les MonumentalEs

Rédigé par Sarah ADOR
Publié le 18/07/2019

Article paru dans Séquences Bois n°121

Sujet largement abordé dans notre numéro de mars, le bois dans l’espace public incarne des enjeux de soutenabilité et entame un dialogue avec la ville minérale. Dans le cadre de “Réinventons nos places”, les aménagements en bois et pierre osent venir se confronter aux grands monuments parisiens, dans une démarche quadruplement vertueuse : piétonnisation, réemploi, insertion sociale et inclusivité. 

Il y a maintenant quatre ans, dans le but de "donner plus de place à celles et ceux qui ont envie de vivre dans une ville plus pacifiée, avec moins de voitures et moins de stress" (Anne Hidalgo), la mairie de Paris lançait le projet “Réinventons nos places”, visant à améliorer l’appropriation piétonne de sept places parisiennes emblématiques, jusqu'alors toutes « contournées par un flux continu de véhicules à moteur » : Bastille, Fêtes, Gambetta, Italie, Nation, Madeleine et Panthéon. Après deux ans de concertations menées par Dédale et le collectif Parenthèse, Les MonumentalEs, collectif constitué pour l’occasion, était missionné pour prendre le relais sur le volet “préfiguration” du projet, à partir de mars 2017, sur les places de la Madeleine et du Panthéon. Composé d’Emma Blanc, paysagiste et mandataire du groupe, du Collectif Etc, de Genre et Ville, d'Albert & Co et d'Emmanuelle Guyard, le groupement, misant sur la transversalité, comprend architectes, paysagistes, sociologues, ethnologues, urbanistes, bureaux d’études en développement durable, spécialistes en égalité et genre, acteurs de l’insertion et graphistes. La mission consistait à dialoguer,  recueillir les souhaits des usagers, co-concevoir des réponses et mener des expérimentations sur les places. 
Suite à une phase de permanences in-situ, d’études sensibles, multidimensionnelles – bruit, ensoleillement, usages formels et informels - et de consultation des usagers, l’équipe a agi en trois temps : une première proposition à l’été 2017, une phase d’observation, puis une version améliorée, en juillet 2018. Pour le collectif, la proposition se devait de répondre à plusieurs objectifs : dans une démarche frugale, améliorer l’hospitalité et l’appropriabilité de l’espace public par l’ajout d’aménités, son inclusivité1 , faire appel au réemploi, mobiliser des associations d’insertion sociale, intégrer une approche pédagogique à l’égard du public ainsi qu’une dimension féministe2, et intégrer le végétal pour offrir ombre et fraîcheur. Dans un environnement si patrimonialisé, face à la monumentalité des édifices, il n’était pas aisé de mettre ces desseins à exécution. 
Sur la place du Panthéon, déterminé à recourir à la “puissance de la matière brute” en employant d’imposantes bordures en granit issues du réemploi - disponibles en “quantité débordante” à quinze kilomètres du lieu -  ainsi que des planches et tasseaux de bois, le collectif a proposé une intervention modulaire : “Les anciennes bordures simplement présentées sur cales comme matière brute deviennent utilisables comme assises et sont disposées suivant une trame régulière et orthogonale, nouvelle matrice de la place avec laquelle nous composons”, expliquent les concepteurs. Ponctuellement, la trame accueille un élément de plus grande dimension en bois, autorisant une inventivité d’usages : une longue table, des formes abstraites incurvées, divers types de plateformes. Deux associations d’insertion sociale ont été mobilisées pour la fabrication de ce mobilier in-situ : “Il s’agissait d’offrir un travail valorisant pour des femmes et des hommes en renforçant leurs compétences dans des métiers spécifiques. C’est ainsi que près de 550 heures d’insertion ont été assurées. Les métiers valorisés étaient la menuiserie, la charpente et la serrurerie. La présence de femmes à égalité avec celle des hommes, a été réelle sur ce chantier”. Dans une démarche ludique, le déplacement des blocs de pierre a été mis en scène au moyen de la Translateuse, une étonnante et rudimentaire machine en bois inspirée de celles qui étaient jadis utilisées dans les carrières. Après quelques mois d’observation des réactions face au mobilier proposé, celui-ci a été amélioré pour l’été 2018 : affinement du design, ajout de dossiers à destination des personnes âgées notamment, amélioration de la facilité de maintenance. Tout au long du processus, les lieux ont ensuite accueilli diverses animations, expositions, et plusieurs ateliers, qui ont permis au public de s'approprier les lieux et de comprendre le projet, jusqu’à l’inauguration à l’automne 2018. Le mobilier en bois, dont la configuration autorise une réelle multifonctionnalité, a été très apprécié du public : l’équipe a pu constater “des stratégies diverses pour manger, lire, travailler sur les blocs de granit et les plateformes qui démontrent le besoin supplémentaire de cette typologie d’objets urbains”. Malgré leur grand succès, les aménagements sont pour le moment inscrits dans une « pérennité temporaire », le projet n’étant encore qu’à l’étape de la préfiguration, tandis qu’il reste aussi cinq autres places à investir. À suivre.

1C’est à dire prendre en compte les comportements genrés qui ont lieu dans l’espace public, face au sentiment d’insécurité des femmes notamment.
2L’action “Une place à soi” visait à inscrire les noms des Grandes Femmes de l’Histoire dans l’espace public, en réaction à un Panthéon désespérément vide de leur présence.

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